Il aurait soufflé ses 90 bougies ce jeudi 26 juillet 2018. C’est l’occasion ou jamais d’un retour sur l’univers si particulier de ce cinéaste légendaire : le regretté Stanley Kubrick, disparu il y a bientôt 20 ans.
1. Travellings, symétries et perspectives – 2001 : L'odyssée de l'espace
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© 1968 TURNER ENTERTAINMENT CO,. A TIME WARNER COMPANY.
Seulement treize longs métrages en cinquante ans de carrière pour Stanley Kubrick, de Fear And Desire, son film de guerre désavoué, à Eyes Wide Shut, son chant du cygne. Pourtant, vingt ans après la mort du maître, ces treize films n’ont pas pris une ride. Du mélodrame (Eyes Wide Shut) à la science-fiction (2001 : L’odyssée de l’espace) en passant par l’horreur (Shining), la comédie (Docteur Folamour) et le film d’époque (Barry Lyndon), Stanley Kubrick a offert à chaque genre un incontestable joyau du Septième Art.
Pourtant, rien ne prédestinait ce jeune autodidacte du Bronx à devenir l’un des noms les plus influents de l’histoire du cinéma. D’abord intéressé par la musique jazz, Stanley Kubrick rêve de devenir batteur et ne s’accommode pas de sa scolarité. Tout s’éclaire lorsqu’à treize ans, son père lui offre son premier appareil photo. De jeune reporter pour le journal du lycée, il devient vite, dès l’âge de 16 ans, l’employé du magazine “Look”. L’image le fascine, une cinéphilie compulsive ne va pas tarder à naître. A 22 ans, Stanley Kubrick se sent déjà de passer derrière la caméra, en réalisant d’abord quelques courts métrages documentaires, puis en s’attelant à Fear and Desire, son premier long.
Pourtant, au terme de sa carrière, un seul Oscar trône sur son chevet : celui des meilleurs effets spéciaux pour 2001 : L’odyssée de l’espace. Visionnaire, cultivé et perfectionniste, Kubrick a pourtant changé le cinéma à jamais par son style, reconnaissable entre mille. En voici les singularités les plus flagrantes.
Composition de plans : travellings, symétries et perspectives
Très tôt dans sa carrière Stanley Kubrick fut obsédé par la fluidité des travellings du cinéma de Max Ophuls. Décidé à se les approprier et à en repousser les limites, il les adapte à son style dès son court métrage institutionnel The Seafarers. Comment évoquer les images du cinéaste sans penser à ces mouvements de caméra, ces fameux travellings souvent vers l’arrière pour donner le sentiment d’une maîtrise de l’espace du personnage qui progresse face au spectateur (le sergent Hartman inspectant ses troupes dans Full Metal Jacket) ? Parfois le mouvement s’inverse et part vers l’avant pour suivre l’inquiétante progression d’un héros dans un environnement qu’il découvre (le tricycle de Danny dans les couloirs de l’Overlook Hotel de Shining).
Mais, que sa caméra s’y aventure ou non, ce sont les perspectives symétriques qui semblent obséder Stanley Kubrick, lorsque les lignes de fuite s’échappent vers le centre du cadre. C’est le cas, par exemple, du sas qui mène l’astronaute David Bowman aux capsules spatiales dans le vaisseau de 2001 : L’odyssée de l’espace, du bar à lait dans le premier plan d’Orange Mécanique ou encore des couloirs de l’hôpital où travaille Tom Cruise dans Eyes Wide Shut.
Et plus la carrière du cinéaste progresse, plus l’exigence est manifeste dans la perfection de chaque plan. L’écart entre chaque nouveau film se creuse tandis Kubrick devient fou du contrôle qu’il souhaite conserver sur ce qu’il tourne. Le résultat se fait sentir en chaque spectateur : voir un film signé Kubrick, c’est ne jamais en oublier une image.
Repousser les limites techniques du cinéma
Il n’y a pas que l’obsession du cadre, des perspectives parfaites et des mouvements de caméra qui ont fait évoluer l’histoire du cinéma, mais également les simples astuces techniques utilisées par Stanley Kubrick pour les obtenir. Toujours en quête d’innovation, il a su se procurer les moyens les plus exceptionnels et les appliquer à son œuvre. Son aptitude géniale à toujours savoir repousser les limites du possible a parfois éveillé d’étonnants soupçons.
Pour 2001 : L’odyssée de l’espace, il fait construire une grande roue (rebaptisée “centrifugeuse”) qui lui permet de filmer des plans en simulant l’absence de gravité dans un vaisseau spatial. Ses maquettes géantes qui volent au ralenti dans l’espace imposeront bien entendu un nouveau “look” au genre, repris ensuite par Star Trek et Star Wars. Plus tard, en tournant Barry Lyndon, Kubrick utilise pour la première fois au cinéma un objectif spécialement conçu par la NASA qui lui permet de filmer dans une exceptionnelle obscurité. Et si l’agence spatiale le lui avait prêté contre un service rendu ? Et si le metteur en scène s’était chargé de filmer un alunissage factice en 1969 ? Les théories du complot continuent d’aller bon train.
A la fin des années 1970, Stanley Kubrick va aussi populariser l’emploi d’un procédé jusqu’alors expérimental permettant d’effectuer des mouvements de caméra encore plus fluides qu’auparavant : le Steadicam. Cette caméra montée sur un bras articulé permettra de tourner des plans à la légèreté étonnante à travers les escaliers de l’Overlook Hotel de Shining. Aujourd’hui, peu de plateaux de tournage se passent de cet outil.
Maniaque et bourreau de travail, Kubrick a su simplifier la vie à bien des réalisateurs qui lui ont succédé. C’est aussi parce que, dans la deuxième partie de sa carrière, il refusait de quitter son immense résidence anglaise que le cinéaste s’est donné les moyens créatifs de garder le contrôle sur ses films sans s’éloigner de sa forteresse ultra-protégée. Son film sur la guerre du Viêt-Nam, Full Metal Jacket, a ainsi été intégralement tourné en Grande-Bretagne.
La somme de tous les Arts
Seuls les deux premiers longs métrages de Stanley Kubrick reposent sur des scénarios originaux : Fear And Desire, signé Howard Sackler et Le Baiser du tueur, écrit par Kubrick lui-même. Par la suite, le prodige du cinéma ne s’appuiera plus que sur des romans plus ou moins plébiscités, du “Lolita” de Nabokov au plus confidentiel “The Short-Timers” qui lui inspirera Full Metal Jacket. Même son Spartacus adapté par Dalton Trumbo est une réécriture d’un roman publié par Howard Fast.
Côté musique, Kubrick se montre aussi particulièrement exigeant, choisissant pour chaque morceau du répertoire classique utilisé dans ses films l’interprétation qui collerait le mieux à ses images. On se souvient des deux Strauss (Johann et Richard) qui illustrent les séquences spatiales de 2001 : L’odyssée de l’espace, avec “Ainsi Parlait Zarathoustra” pour le premier et “Le Beau Danube Bleu” pour le second. Il faut aussi mentionner l’aspect anachronique des choix musicaux de Barry Lyndon avec les compositions de Haendel et de Schubert, choisies pour renforcer la charge Romantique de l’intrigue.
Mais s’il connaît ses classiques, la musique moderne n’a pas non plus de secret pour lui, des compositions de György Ligeti utilisées dans 2001 et dans Eyes Wide Shut au rock’n’roll qui rythme la guerre du Viêt-Nam dans Full Metal Jacket. Parfois, musique classique et contemporaine se rencontrent, comme dans l’ouverture d’Orange Mécanique où la “Musique pour les funérailles de la reine Mary” de Purcell est réorchestrée au synthétiseur par Wendy Carlos.
Fort de son expérience dans la photographie, c’est aussi Kubrick lui-même qui assurera le poste de chef opérateur de ses premiers films, avant de s’en remettre aux mains expertes des meilleurs de la profession comme Gilbert Taylor (Docteur Folamour) ou John Alcott (2001, Orange Mécanique, Barry Lyndon et Shining). Aussi savant en références picturales que dans les autres domaines, le réalisateur reproduit à la perfection des huiles sur toiles de grands maîtres dans Barry Lyndon, comme celles de John Constable ou de Joseph Wright of Derby.
Même quand il s’agit d’engager quelqu’un pour dessiner l’affiche de Shining, Kubrick fait appel aux plus grands, comme Saul Bass, l’homme à l’origine des plus astucieux génériques hollywoodiens (comme celui du Psychose d’Hitchcock).
Un regard pessimiste sur l’espèce humaine
A travers son style de vie comme à travers son art, Stanley Kubrick a fait preuve d’une certaine misanthropie – ou pour le moins d’une méfiance à toute épreuve envers l’humanité. Chacun de ses films parlent des échecs de l’être humain : de la patrouille perdue commettant des crimes de guerre dans Fear And Desire au couple Kidman / Cruise qui n’échappe pas à la jalousie et à la tentation dans Eyes Wide Shut.
Ambigus, compréhensibles, féroces ou audacieux, les héros de Kubrick ne sont jamais attachants. Le public ne peut porter sur eux un regard déformé par l’empathie. Certes, Guignol dans Full Metal Jacket amuse la galerie dans les premières scènes. Son humanité sera définitivement brisée au cours de son entrainement militaire et la guerre le conduira à abattre de sang-froid une adolescente vietnamienne armée d’un fusil.
S’il est candide au début du film, Barry Lyndon ne tardera pas non plus à dévoiler son véritable visage d’arriviste et de parvenu à la déchéance annoncée. Alex, le héros ultraviolent campé par Malcolm McDowell dans Orange Mécanique, sera domestiqué à l’extrême avant de devenir la victime de sa propre violence. Car pour le cinéaste, un monde violent n’a pas davantage de sens qu’un monde docile.
Que ce soit dans la comédie (Docteur Folamour) ou dans l’horreur (Shining), Stanley Kubrick s’est appliqué à gommer tout repère moral pour que le spectateur ne soit pas tenté d’évaluer ses personnages. Leurs destins leur jouent toujours des tours, mais on les quitte sans les juger bons ou mauvais, coupables ou innocents. Seule l’intelligence artificielle HAL 9000 de 2001 : L’odyssée de l’espace ne pose sur le monde qu’un regard objectif… pour inévitablement sombrer dans une logique meurtrière. Au fond, chez Kubrick, ce qui définit l’âme humaine, c’est sa folie.
Pour ses 50 ans, 2001 : L’odyssée de l’espace ressort en salles !
2001 fête ses 50 ans avec l'acteur Keir Dullea et les proches de Stanley Kubrick
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