C’est un effeuillage dans les règles de l’art que s’offre la chanteuse avec Fragile, livre de photos sensuelles réalisées par Sylvie Lancrenon, à paraître ce 15 mai (aux Editions Anne Carrière). En attendant notre sujet exclusif sur cette collaboration, en kiosque dès ce mercredi 13 mai, arrêt sur un détail anatomique particulièrement révélateur de l’icône Farmer.
Comme Isabelle Adjani, autre modèle de la photographe Sylvie Lancrenon, autre figure statutaire du spectacle français, autre mystère au teint d’albâtre et aux accès de fièvre, de ceux dont les fêlures laissent passer la lumière, elle aurait pu incarner une formidable Camille Claudel, sœur du dramaturge Paul Claudel et sculptrice de talent, brisée par son mentor et amant Auguste Rodin, réduite en éclats d’elle-même entre les murs l’asile de Ville-Evrard, en Seine-Saint-Denis.
Malgré ses liens privilégiés avec des gens du 7eme art comme feu Claude Berri, Vincent Lindon, Luc Besson, Jean Rochefort ou encore David Lynch, Mylène Farmer n’a pas fait son cinéma. Un premier rôle dans Giorgino, premier long-métrage de son ancien complice Laurent Boutonnat, le doublage de la princesse Sélénia, troublant avatar animé, dans Arthur et les Minimoys et puis… plus rien. A ce jour, du moins… Qu’importe. Troisième enfant d’un ingénieur des ponts et chaussés muté au Canada où elle passera les premières années de sa vie, Mylène Gauthier a fait mieux : elle a déroulé le film de sa vie et créé Mylène Farmer, un peu comme Dieu créa la femme. Patiemment. Méticuleusement. De ses propres mains.
Alors que sort ce 15 mai Fragile, bel ouvrage de quatre-vingt dix clichés inédits de l’artiste, et, véritable réflexion sur la création, la pulsion de vie et le mouvement, entreprise en collaboration avec Sylvie Lancrenon, il s’agit justement de revenir sur… les mains de Mylène Farmer ! Au même titre que ses pieds ou son regard, elles sont photographiées en détail dans Fragile, le livre de 168 pages publié par les éditions Anne Carrière. Un juste choix, car pour avoir rencontré la chanteuse, s’il est bien une partie de son anatomie qui vous surprend, vous saisit, voir vous imprègne, ce sont ses deux mains.
Je n’y avais pas prêté attention, dans le cadre de notre première interview, réalisée dans la foulée encore haletante de sa tournée Timeless 2013 et parue dans les pages de Gala le 24 décembre 2013. Le 27 mars 2014, l’occasion me fut donnée de procéder à un petit erase and rewind. Rencontre, prise 2, moteur… action ! Invité au Gaumont Opéra, dans le 9e arrondissement de Paris, à découvrir le film de sa dernière odyssée scénique (avant qu’il n’atteigne des records de vente sous la forme d’un DVD quelques semaines plus tard), l’humble et pourtant si talentueux réalisateur François Hanss, un proche, surtout le sien bientôt trente ans, m’invite au générique de fin à rejoindre la coupole de la salle de cinéma pour célébrer le succès de la projection sur le plan national ce soir-là (plus de 100 000 spectateurs dans toute la France). Les fans évacuent les lieux, encore ébahis, sonnés, par le voyage de deux heures qu’ils viennent de vivre. Je ne vais pas être déçu par celui que j’amorce, en empruntant un dédale de coulisses et de marches. En pleine discussion avec Pascal Nègre, p-dg d’Universal Music, elle est là. La surprise tient en sa seule présence. D’ordinaire, Mylène Farmer ne goûte guère à l’autocélébration, encore moins à cette bulle vite soûlante que peut être la vie nocturne parisienne. Au soixantième anniversaire de Dominique Besnehard, fêté un moins plus tôt au Théâtre du Rond-Point, elle fut la seule star à se soustraire à la mitraille des photographes. Dans un monde où il faudra bientôt prier pour ses quinze minutes d’anonymat, admirable instinct de préservation de soi. Mais ce 27 mars, pour la chanteuse, il s’agit surtout de préserver l’amitié et le respect qui la lient à toute l’équipe ayant œuvré sur le film Timeless.
Autre ami commun, Anthony Souchet refait les présentations. Cheveux lâchés, boléro, jupes et bas noirs, si menue, elle susurre un « merci d’être là », dans ce que je crois me remémorer être un sourire. A vrai dire, impossible, encore à ce jour, de me souvenir de son regard, de la finesse de ses traits, de la pâleur de sa peau, ce 27 mars. Il fait sombre, certes. Mais surtout, l’empreinte de sa main a tout occulté. Court-circuit, blackout, shake it off. Nulle autre réminiscence que cette poignée franche, forte, presque virile, qu’elle m’adresse. Comme Camille Claudel, la « fragile » Mylène Farmer a des mains de créatrice, plutôt fines mais puissantes, incroyablement puissantes (et, note personnelle, dieu sait que nous abhorrons les mains molles qui, à peine saisies, se dérobent). De ces mains, elle a, semble-t-il, longtemps fait un complexe, gantée à la mode libertine ou emmanchée jusqu’aux phalanges. En trente ans de carrière, elle leur en aura même fait voir de toutes les couleurs, dans ses clips : le rouge du sang (Sans Logique, Beyond my control, Je te rends ton amour…), le blanc de la neige (Désenchantée, Fuck them all…), le brun de la boue et de la glaise (Ainsi soit-je, A l’ombre…)… Jeux de mains, jeu de Mylène. Se pourrait-il être, pourtant, plus beau signe distinctif chez une femme qui a su prendre les rênes de sa vie, renoncer en pleine année de terminale à bachoter pour mieux murmurer à l’oreille des chevaux, puis à celle d’un public tout acquis à son art ? Le reste de son histoire, vous la connaissez.
Nous avons choisi, pour l’ouverture de notre sujet exclusif en kiosque ce mercredi 13 mai, une photo du livre Fragile réalisée par Sylvie Lancrenon, sur laquelle, Mylène pose allongée, visage tourné, main tendue. Comme une invitation à saisir cette main. Avant que le mythe Farmer ne disparaisse. Encore une fois. Peut-être définitivement. Attention, Fragile ! Attention aux chefs-d’œuvre en péril…
Crédits photos : Sylvie Lancrenon