“Soleil Vert”, un classique de la SF hors du commun d’un atroce pessimisme, ressort en salle. L’occasion de constater que son discours écologique et humain n’a hélas rien perdu de sa force, 40 après. Bien au contraire.
Le 26 juin 1974 sortait en France Soleil Vert de Richard Fleischer. Adapté du roman Make Room ! Make Room ! de Harry Harrison et publié en 1966, le film est devenu un classique de la SF hors du commun d’un atroce pessimisme, dont le discours catastrophiste écologique et humain n’a hélas rien perdu de sa force, 40 ans après. Bien au contraire. “Soleil vert, film de Science-fiction, confine presque au documentaire. Tout ce que j’y ai montré à titre fictif est désormais d’actualité. Ce film est un adieu au second Paradis Terrestre détruit cette fois par les humains” dira Fleischer, lucide, des années après la sortie de son chef-d’oeuvre absolu.
“Il y avait un monde autrefois…”
New York city. Année : 2022. Avec 40 millions d’habitants, la ville est devenue une métropole surpeuplée, où règne la misère absolue et le manque de nourriture. Les gens s’entassent partout où ils peuvent : dans la rue, dans les cages d’escaliers…Partout. Un atroce brouillard jaunâtre de pollution flotte d’ailleurs en permanence au-dessus de la ville. L’écosystème, si fragile, a pratiquement disparu. Les arbres, les animaux ont disparus, victimes de la déforestation, la surexploitation, et la pollution.
Dès le générique d’ouverture du film, absolument brillant et terrifiant, le spectateur est foudroyé : quelque chose s’est définitivement cassé dans la grande marche vers le progrès de la Civilisation, ou du moins ce qui est présenté comme tel. Le développement industriel à marche forcée et ses ravages, les effets non maîtrisés de la surconsommation et l’épuisement des ressources naturelles ont achevés d’hypothéquer l’avenir de l’Homme en quelques décennies à peine.
Pour les plus fortunés, qui ont accès à l’eau potable et à de vrais aliments cultivés dans des fermes protégés comme des forteresses, rien n’est trop beau. Une tranche de bifteck se négocie 500 $; un pot de confiture 150 $. Mais pour le commun des mortels, la nourriture naturelle, telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’existe plus. La nourriture est désormais fabriquée par la toute puissante Soylent Corporation. une nourriture synthétique sous forme de tablettes dont la couleur varie selon les jours de la semaine. Et la firme vient justement d’introduire un nouvel aliment que la population s’arrache : le Soleil Vert, prétendument fabriqué à partir de plancton hautement énergétique.
Ci-dessus, une émouvante scène du film, dans laquelle Thorn et Sol font un repas avec des aliments devenus inaccessibles pour le commun des mortels. Alors que Thorn est un enfant du “Soleil” et n’a rien connu d’autre, Sol, lui, se souvient des saveurs oubliées…
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Dans ce monde de chaos absolu, la seule chose qui fonctionne à peu près, c’est encore la Police, dont le gouvernement gonfle les effectifs dans un seul but : empêcher les émeutes. Police à laquelle appartient aussi Robert Thorn (Charlton Heston), inspecteur à la Police judiciaire. Un jour, il est chargé d’élucider le meurtre de William Simonson (Joseph Cotten), retrouvé assassiné dans son appartement. Ce dernier était l’un des dirigeants de la Soylent Corporation. Aidé de son vieil ami Sol Roth (bouleversant Edward G. Robinson, qui trouve là son ultime rôle) qui, lui, a connu “l’ancien monde”, Thorn se lance dans une (en)quête sur l’effroyable vérité que certaines personnes avaient voulu garder secret en tuant Simonson…
“Un tel chaos écologique n’est que trop probable, mais il y a eu tellement d’avertissements mélodramatiques à ce sujet dans des essais et des fictions spéculatives comme celle-ci que la répétition émousse et use le sentiment d’urgence” (Time Magazine, à la sortie du film en 1973)
La prise de conscience écologique
Plongeant ses racines dans une prise de conscience collective -et progressive- des enjeux liés à l’écologie au début des années 1970, Soleil Vert s’inscrit aussi dans le courant de ces oeuvres désenchantées, et en particulier les oeuvres de Science-Fiction, produites à cette époque aux Etats-Unis. Un pays alors plongé en plein doute et marasme économique, dont la confiance envers la politique est sévéremment ébranlée avec le scandale du Watergate qui aboutira en 1974 à la démission du président Richard Nixon.
La scène des émeutes d’une population affamée, privée de soleil vert et littéralement ramassée par des pelleteuses. Une séquence atroce, qui souligne l’insignifiance de l’individu dans une société exsangue et en ruine.
C’est aussi un pays encore meurtri par la guerre du Viêtnam. Le doute, l’angoisse face à l’avenir. L’American Way of Life, si cher au coeur et aux yeux des américains, a-t-il encore un avenir ? Au cinéma, outre les Thrillers conspirationnistes, les films catastrophes et de SF anxiogènes ont le vent en poupe : L’âge de cristal, New York ne répond plus, Le Survivant (déjà avec Charlton Heston), Rollerball ou le sport ultra violent qui sert d’exutoire à une société en manque de sensations fortes, Mondwest…
Les lendemains qui déchantent sont ainsi fréquents dans la science-fiction; un genre qui par définition reflète nos peurs face aux changements sociaux ou technologiques. Dans Soleil Vert, le cataclysme arrive par érosion : la fin du monde par disparition d’un élément essentiel à notre existence, en l’occurence l’eau et la nourriture. Mais l’agonie de l’espèce humaine est lente et progressive -comme le souligne d’ailleurs l’extraordinaire générique d’ouverture-; le temps nécessaire pour épuiser les ressources de la planète.
Un jugement sévère sur notre société
Le genre apocalyptique apparaît comme un moyen de porter un jugement -souvent sévère- sur notre société. A l’époque de la sortie du film, certaines critiques reprochèrent à Richard Fleischer d’avoir inclu trop d’éléments contemporains, à commencer par le mobilier luxueux -et très Seventies- de l’appartement de Simonson. En somme, de ne pas livrer un film de SF assez intemporel, dans la veine de ce que fit brillamment Kubrick avec 2001 : l’odyssée de l’espace.
Mais c’était ne pas comprendre la démarche de Fleischer, qui souhaitait au contraire établir une franche proximité avec le spectateur, le faire réagir et le révulser devant la société qu’il dépeint, dans laquelle les hommes en sont réduits à n’être qu’une simple statistique et traités comme du bétail, juste bon à être envoyés à l’abattoir; quand ils ne sont pas occupés à s’entre-dévorer. Pour rendre crédible son propos, le réalisateur s’était d’ailleurs adjoint les (prestigieux) services du Professeur Franck R. Bowerman, enseignant à la South California University, président de l’American Academy for Environmental Protection.
Les travaux du Club de Rome
En fait, l’impact du film et les discussions autour du débat sur l’écologie furent nettement amplifiés par le célèbre rapport du Club de Rome, intitulé Halte à la croissance. Un groupe de réflexion créé en 1968 réunissant des scientifiques, des économistes, des fonctionnaires nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 53 pays, préoccupés des problèmes complexes auxquels doivent faire face toutes les sociétés, tant industrialisées qu’en développement.
Ci-dessus, l’euthanasie de Sol, une des plus bouleversantes scènes du cinéma. En échange de sa mort, il a la possibilité de se remémorer et s’émerveiller pendant 20 min devant le prodigieux spectacle qu’offrait autrefois la nature. Un impact émotionnel d’autant plus foudroyant que Edward G. Robinson était mourant d’un cancer sur le tournage.
“Les prix des denrées augmentent de telle sorte que les plus démunis mourront de faim ; d’autres, moins défavorisés, seront amenés à n’utiliser qu’une partie réduite de la terre disponible en se contentant de produits médiocres…” peut-on y lire dans le rapport publié en 1971; “Le monde s’est donné pour objectif d’accroître la population et le niveau de vie matériel de chaque individu… Si les sociétés continuent à poursuivre cet objectif, elles ne manqueront pas d’atteindre l’une ou l’autre des nombreuses limites critiques inhérentes à notre écosystème”. Ce livre eut, dans le monde entier, un impact considérable : s’appuyant en particulier sur l’épuisement des ressources naturelles, il proposait de passer de l’état de croissance à l’état d’équilibre.
Dans une remarquable étude publiée en 1998 et baptisée “Géopolitique des ressources naturelles : prospectives 2020”, l’historien et économiste français Philippe Chalmin écrivait à ce propos : “peu d’ouvrages de prospective auront bénéficié après leur parution d’une telle convergence d’événements confortant leur thèse. En 1972, ce furent en effet les premiers achats russes de céréales, la flambée des cours à Chicago et le début de ce qu’Henry Kissinger appela l’« arme alimentaire ». En 1973, il y eut la
guerre du Kippour et la prise de contrôle du marché pétrolier par l’OPEP ; il y eut aussi l’embargo américain sur les exportations de soja, les débuts du cartel des phosphates. En 1974, ce fut la crise du sucre… L’analyse pessimiste du club de Rome se confirmait : le monde allait manquer de matières premières ou d’énergie et le pouvoir sur les marchés appartenait désormais aux producteurs”.
Depuis, les fameuses analyses catastrophistes du Club de Rome ont été largement tempérées et révisées. Il n’empêche. Dans le monde actuel, jamais l’écart entre riches et pauvres n’a été aussi important; 827 millions (source : ONU – PAM) de personnes dans le monde ne mangent pas à leur faim; les guerres pour le contrôle des ressources -en particulier les plus fondamentales comme l’eau- n’ont jamais été aussi présentes tandis que les sociétés sont de plus en plus sensibilisées à la chasse aux gaspillages. Jamais la surconsommation et la surproduction n’ont autant été au coeur de l’actualité.
En 2012, la population sur la Terre était estimée à 7,046 milliards. En 2013, l’ONU a estimé que nous serons entre 9 et 10 milliards d’habitants, dans moins d’un siècle. Au rythme des pollutions massives, de la destruction de l’environnement et de la surexploitation des sols, gageons que les générations futures n’auront pas à se nourrir de Soleil vert.